Histoire et enjeux des Communautés Thérapeutiques en Belgique

François Baufay


C’est avec véritable passion que je me suis intéressé à l’univers des CT depuis presque 20 ans, d’abord comme stagiaire et professionnel, et ensuite comme chercheur. Et ce, avec autant plus de passion qu’au départ, mon implication dans les CT avait été le fruit du hasard. Quoique…à y réfléchir, il y a quand même peut-être eu dans ma tendre enfance de quoi interpréter mon intérêt pour toutes ces personnes extraordinaires que j’y ai rencontrées … Aussi lorsque vous entendrez les mots « folie », « fou », « malade mental », ou « psychose », « aliéné », « guérison » entendez les entre guillemets parce qu’il s’agit ici de garder une certaine distance avec ces catégorisations subjectives et hypothétiques…

Mais revenons au sujet qui nous occupe maintenant, à savoir l’Histoire des CT en Belgique.

Même si les CT belges participent d’une histoire assez récente - cette année, la première d’entre elles, Le Foyer de l’Equipe, fête ses 50 ans - elles s’inscrivent dans une évolution ou une révolution (la 3ème) de la psychiatrie qui elle a plus ou moins 200 ans. Il me semblait important de replacer l’émergence de ces dispositifs dans le contexte plus large de l’évolution de la psychiatrie et de la société depuis plus de 2 siècles pour tenter d’en comprendre l’essence mais aussi pour revenir sur les enjeux qu’ils rencontrent aujourd’hui.

La psychiatrie, la « science spéciale », nouvelle branche de la médecine naît à l’époque révolutionnaire, aux alentours de 1800. Cette 1ère révolution psychiatrique, comme on l’appelle, se produit dans un contexte de révolutions politiques et sociales majeures (révolution américaine, française, révolution industrielle…) et d’évolutions sociologiques fondamentales (telle la sécularisation de la société amenant la société à rompre avec toute explication d’elle-même fondée sur un Autre qu’elle-même, à savoir un Dieu Créateur, nouveau rapport de production,…). Ces évolutions incluent des changements symboliques majeurs de regard sur l’homme. Délié de son théâtre sacré et de l’ordre immuable des choses qui bouchaient tout questionnement intime, l’homme est devenu un sujet et sa « folie », une expérience-limite éclairant la dimension de la subjectivité. « En quoi l’individu est-il un sujet ? Qu’est-ce qui le constitue comme sujet ? ».

Le traité médico-philosophique de Philippe Pinel, le « traitement moral », décrié depuis toujours, parce qu’en partie mal interprété, marque (pas à lui seul) une nouvelle proposition de traitement de la « folie » par la médecine (qui s’en occupe depuis presque toujours) qui, pour la première fois, ne serait pas physique, mais psychique. La psychiatrie balbutiante de l’époque se fonde et se construit à partir d’observations sur la « folie par intermittence» et sur les idées « qu’il y a toujours un reste de raison chez l’aliéné », même si émerge l’idée d’une puissance déterminante dans le sujet sur laquelle la conscience n’a pas de pouvoir. La « folie » est à la fois considérée comme partielle parce qu’elle n’est pas abolition intégrale de la puissance subjective ; pourtant elle est remise en question de l’existence même de cette puissance, et en ce sens totale – c’est le tout du sujet qu’elle engage dans son essence. A en lire certains auteurs, le « traitement moral» se serait construit à partir de l’idée que l’on peut, si l’on trouve certaines clés, dialoguer avec les « fous », que la communication reste possible avec eux, que les « fous » ne sont pas totalement absents à eux-mêmes ou « empêchés », qu’ils sont « sujets de leur folie ». L’idée de « curabilité » de « l’aliénation » ne surgit pas du fait que parfois « l’aliéné » guérit mais provient de la découverte que dans tous les cas on peut nouer un rapport avec « l’aliéné » où sa « guérison » est en jeu. Malheureusement très vite de ce « traitement moral », il n’en restera que la soumission, l’occupation active, l’intimidation, le travail obligatoire, les règlements de vie, une forme de contrôle et les secousses…

Paradoxalement et malgré ces évolutions importantes, la médecine n’a jamais pu se départir d’une explication organiciste de la « folie » et il faudra une deuxième révolution psychiatrique près d’un siècle plus tard- l’invention de la psychanalyse par Freud- pour réintroduire la notion d’inconscient et de traitement psychothérapeutique. C’est avec les travaux de Jacques Lacan à partir des années 1950 que les théories psychanalytiques prendront de l’importance dans le champ psychiatrique, jusqu’à orienter très fortement aujourd’hui la « clinique » de nombreuses communautés.

Au regard des changements symboliques majeurs de 1800, le constat des conditions de vie « abominables » des « fous » à l’époque, à l’Hôpital Général (1656), dans les maisons de force et les dépôts de mendicité devient insupportable et conduit la société et les médecins à élaborer un lieu a priori plus « adapté » pour les accueillir et les soigner.

Or, la création de « l’asile » a complètement anéanti la possibilité de mettre en place une réelle dynamique « thérapeutique ». L’asile qui avait pour objectif de « protéger les fous des vicissitudes de la vie extérieure » par son côté gigantesque, isolé, reclus et éloigné de la société a contribué à ruiner les chances d’un quelconque « effet thérapeutique » dans la technique proposée. Les « avancées scientifiques » ou « pseudo-scientifiques » de l’époque sur le sujet, ont poussé encore plus loin la fermeture de l’univers asilaire sur lui-même et son éloignement de la réalité de la société. Les finances publiques désastreuses de l’époque ont achevé le travail et ont fini par rendre ce « lieu d’asile » totalement inhumain. C’est ainsi contre une certaine volonté d’accueil et de soins que s’est construit concrètement l’univers asilaire qui s’est dressé alors avec force et durée devant les « fous ». On voit ici qu’entre les idées et la mise en pratique l’écart peut être des plus violent !

C’est au sortir de la seconde guerre mondiale que la « violence de l’excès de pouvoir » et « l’expérience concentrationnaire » apparaissent au grand jour et deviennent insupportables. Et c’est en psychiatrie que le parallèle entre univers asilaire et société totalitaire « responsable du chaos » de 40-45 apparaît comme une évidence. Et c’est entre autres autour de ce secteur-là que des grands mouvements vont voir le jour: l’antipsychiatrie, la psychothérapie institutionnelle et les communautés thérapeutiques anglaises qui vont diffuser leurs idées et provoquer des grands changements. C’est la 3ème révolution psychiatrique, l’avènement de la psychiatrie communautaire. Toutes les CT belges seront d’ailleurs touchés, à divers degrés, par ces mouvements de pensée. Ce qui apparaît alors comme insupportable en psychiatrie et donc à combattre à l’époque ce sont non seulement les conditions de vie et de survie dans les asiles, l’excès de verticalité et d’autorité qui y règne mais surtout les effets désastreux sur une éventuelle « réinscription sociale » d’un univers fermé. Je vous invite à lire si vous ne l’avez déjà les fameux travaux sociologiques d’Erving Goffman sur ce sujet, dans son livre Asiles paru en 1961.

Il apparaît alors surtout qu’il faut « ouvrir » et transformer l’asile. Cette ouverture se fait d’abord timidement au sein de l’hôpital – les premières unités ouvertes à l’hôpital date de 1946- mais très vite il apparaît que l’avenir de cette « ouverture » est en dehors de l’hôpital.

Petit retour historique…

La Belgique peut être considérée comme un des premiers pays où s’est pratiqué une sorte particulière de traitement « social » de la « folie » et ce dès le Moyen-Age. La colonie de Geel en Campine proposait des pèlerinages et des hébergements de « malades mentaux » dans des familles locales. Le pèlerinage est consacré à Sainte Dymphne, princesse irlandaise du VIIème siècle réfugiée en ces lieux avec son amoureux pour échapper aux assiduités de son père qui néanmoins les retrouva et les décapita. On raconte que des « fous » furent témoin de cette scène atroce et s’en sont trouvés guéri comme par magie. C’est de là que ce lieu deviendra un endroit de pèlerinage et un havre de paix pour ceux qui ont « perdu la tête ». Un établissement d’abord géré par l’Eglise fut construit au XIIIème siècle. Cette institution passa ensuite dans les mains des pouvoirs locaux.

On raconte qu’à une certaine époque près de 4000 « fous », souvent échappés des autres asiles du pays, se retrouvaient à Geel dans cet établissement ou dans des familles d’accueil. Encore aujourd’hui, Geel conserve cette tradition d’accueil familial de la « folie ».

Cette référence à Geel n’est pas anodine. Le fondateur de la première communauté thérapeutique en Belgique, Jean Vermeylen y naît. Son père est psychiatre dans l’établissement en question. Nous y reviendrons.

Voici quelques dates clés en Belgique dans la mise en place des CT :

En 1948, la compétence en matière d’Etablissements pour aliénés est transférée du Ministère de la Justice au Ministère de la Santé publique et de la Famille. La psychiatrie devient partie intégrante des soins de santé.

En 1956, c’est la création du Fonds Spécial d’Assistance dont l’objectif est de supporter les frais d’entretien et de traitement des « malades » indigents.

En 1957, la Fondation Julie Renson est créée. Elle se donne pour buts :

- « de promouvoir l’étude et les recherches scientifiques relatives aux maladies mentales

- de venir en aide matériellement et moralement aux malades mentaux dépourvus de ressources ou privés d’assistance familiale suffisante et par préférence, s’il y a lieu, aux membres de la famille de la fondatrice.

- D’assurer le reclassement des malades guéris ».

En 1959, suite à et en collaboration avec les travaux de Paul Sivadon et de Roger Amiel, La fondation publie le Projet d’Organisation de l’Assistance Psychiatrique en Belgique chargé de susciter le débat.

Ce Projet, résultant d’une commission d’étude divisée en 3 groupes de recherche : « précure et cure extrahospitalière », « cure hospitalière » et « post-cure », est accueilli favorablement par le monde politique. La qualité du travail est telle que le Projet est sélectionné conjointement avec une étude américaine et française pour l’Année Mondiale de la Santé Mentale. On retrouve dans ce document l’esquisse d’une psychiatrie de secteur.

C’est autour du secteur né en 1961 des œuvres de Jean Vermeylen que se créeront les premières structures intermédiaires en Belgique. Ce secteur avait pour mission « de créer et de développer un réseau de soins et de réadaptation capable d’éviter le plus souvent possible des hospitalisations », « enterrement de psychotiques voués à la chronicisation » selon le Dr Vermeylen. La lutte contre la chronicisation passait donc par la lutte contre l’hospitalisation. Le secteur s’implante alors dans une zone géographique délimitée avec des équipes pluridisciplinaires chargées de dispenser une aide médicale, psychologique et sociale à une population caractérisée par une situation de précarité économique. Il s’agit du premier centre de santé mentale de Belgique qui s’installe sur la commune d’Anderlecht.

A cette époque, par ailleurs, bien que les traitements hospitaliers conduisent à une diminution de la symptomatologie présentée par les « malades », il n’y a que très peu de relais et de retours des « malades » vers la vie en collectivité. Les mutuelles de l’époque pointaient d’ailleurs que très peu de « malades » étaient capables de reprendre une inscription sociale et professionnelle leur permettant de reprendre leurs cotisations mutualistes.

En 1963, naissance de l’INAMI. La loi sur les hôpitaux qui définit les normes pour être agréé par l’INAMI, qui octroie une intervention financière appelée « prix de la journée d’entretien » sort à cette époque.

Le Foyer 1964

La création de la première CT survient après une prise de conscience d’une « faille thérapeutique » que ni les hôpitaux ni les centres de santé ne peuvent combler. Cette « faille » conduit à la création « d’une institution permettant un travail thérapeutique plus global et plus continu ». L’ASBL « L’équipe », fondée en 1963 entre autres par le Docteur Vermeylen et le Lucette Decroly ouvre les portes de son Foyer en 1964 avec l’aide de la Fondation Julie Renson et la Compagnie d’assurance « la Prévoyance sociale » qui a mis à disposition via un bail emphytéotique une maison pour démarrer le projet.

Le Foyer démarre sur les caractéristiques suivantes :

1- une implantation en tissu urbain (…)

2- une pratique de thérapie institutionnelle inspirée du modèle anglo-saxon des communautés thérapeutiques (Maxwell Jones)

3- une sollicitation pressante adressée aux malades, d’entreprendre ou de poursuivre un travail psychothérapeutique analytique mais chez d’autres référents, totalement indépendants de l’institution, en ville ou au secteur par exemple ».

La porte de l’institution est ouverte. Les gens qui y vivent entrent et sortent comme bon leur semble. Ils sont libres. Le Foyer propose également de repenser tout-à-fait les rapports d’autorité avec les patients en enlevant les blouses blanches, mais aussi dans le travail d’équipe. Les décisions se prennent en groupe lors de réunions (communautaires pour ce qui concerne la vie au quotidien, d’équipe pour ce qui concerne les orientations de travail avec les patients). Tous les travailleurs sont impliqués dans le travail, l’avis de tous doit être entendu sur un même pied d’égalité.

C’est sur ce modèle que se sont créées les premières institutions extrahospitalières, résidentielles et ambulatoires (Antonin Artaud, le Gué,…), de notre pays. Elles fonctionnent alors avec des moyens restreints, sans aucun subside et avec l’aide de nombreux bénévoles et de quelques généreux donateurs.

L’Equipe est la première ASBL dans le secteur de la revalidation psycho-sociale à être reconnue par l’INAMI en 1968. Le Foyer est aujourd’hui conventionné pour 28 lits.

Par la suite, elles seront plusieurs à bénéficier de conventions à chaque fois particulières avec l’INAMI. C’est d’ailleurs une des richesses de ce secteur. Chaque structure gardant une convention particulière avec l’INAMI. Le cadre des conventions est par ailleurs revu à plusieurs reprises pour permettre une plus grande viabilité des différentes structures extrahospitalières qui se sont créées entre-temps.

Ce nouveau cadre a conduit à « une évolution de la notion de responsabilité et donc le rétablissement d’une forme claire de hiérarchie et d’exercice du pouvoir. Les institutions communautaires doivent apprendre qu’elles ne sont pas que communautaires : elles sont d’abord institutions ».

Le Wops de nuit 1979

Je ne m’étendrai pas trop sur l’histoire du WOPS de nuit, puisque nous aurons demain en séance plénière un exposé de nos collègues de cette institution. Néanmoins, j’en dirai juste quelques mots : Création de l’asbl WOPS en 1974. Dans une logique de réseau. Le Wops de nuit en 1979. Plus de 5 ans pour mettre en place cette structure. L’équipe du départ en 1974, animé par certaines idées ne sera plus là à l’ouverture en 1979 du WOPS de nuit. L’idée était d’ouvrir une sorte d’auberge pour y accueillir un temps toute personne en difficulté. Divers noms ont été évoqués pour appeler ce nouveau dispositif. C’est le Centre Psychothérapeutique de Nuit qui fut retenu.

Le Wolvendael 1981

C’est sous l’impulsion d’Alain Roba, diplômé de la FOPA, que la CT du Wolvendael, autrefois nommée « La Maison du Wolvendael », a été créé.

Le fondateur était un acteur important au niveau associatif de la commune d’Uccle ; tant au niveau des mouvements de jeunesse, de la politique communale que du CPAS. Il a mis en place des projets de vie en communauté pendant ses études et un peu plus tard il a initié les « Rencontres Européennes à Gratte » en 1968/1969- du nom d’un village en Ardèche en ruine dont le projet de restauration était assuré par des jeunes issus de mouvements de jeunesse essentiellement, et de personnes handicapées.

Fort de cette expérience très positive, une ASBL est créée (Papenkasteel). L’ASBL créé les Petites Maisons de la Montagne St Job, toujours sur le même principe de la cohabitation de personnes handicapées et non handicapées et une Maison de jeunesse « Ma maison à toi ».

Sur sa lancée, en 1980, l’ASBL a mis sur pied de manière plus structurelle et parallèlement une Maison pour personnes handicapées dépendant de la Communauté française (FNRSH), une Structure d’Appartements supervisés pour personnes handicapées et une autre Maison (ex- Maison du Wolvendael) qui allait bénéficier du nouveau flot de conventions de rééducation fonctionnelle de l’Inami en 1981 pour des « projets pilotes », agrément reconduit tacitement, permettant ainsi à de nombreuses personnes de sortir des hôpitaux psychiatriques. La Maison du Wolvendael prit la forme d’une Communauté thérapeutique se basant sur les principes de la thérapie institutionnelle, portée par une jeune équipe que l’on appelait autrefois « les thérapeutes en sabot ».

Au fil du temps, de 11 lits la maison est passée à 24 lits. Cette maison a bien tourné pendant 10 ans, mais l’équipe (pour différentes raisons) s’est divisée, c’est ainsi que la Traversière s’est créée à Nivelles, reprenant les mêmes principes de base que le Wolvendael, chacun gardant 12 lits.

La Traversière 1990

Plusieurs travailleurs à l’ancien Wolvendael dépendant de l’asbl Papenkasteel commençaient à être en difficulté dans leur travail. Ils constataient une gestion peu claire de l’asbl qui regroupait plusieurs institutions (Transition, L’ancien Wolvendael, Maison des Tropiques, un village à Gratte…).

Jean-Marc Poellaer (psychologue-psychanalyste, Szondien, assistant chez J. Schotte à l’UCL) devient directeur, et dénonce la convention de la maison du Wolvendael conduisant ainsi à la mise en liquidation de l’asbl Papenkasteel. L’INAMI décide alors de renouveler la convention avec une nouvelle asbl : le (nouveau) Wolvendael et de dédoubler la convention pour créer la Traversière expressément dans la Brabant Wallon. La Traversière asbl est fondé en 1989 par quatre travailleurs du Wolvendael. D'autres se joignent à cette équipe par après, et la communauté ouvre ses portes en septembre 1990 pas loin de la gare à Nivelles. La référence au Szondi, la psychothérapie institutionnelle, la psychanalyse sont les éléments du projet thérapeutique. Les fondateurs et plusieurs autres personnes de l’ancien Wolvendael commencent à travailler à Nivelles, d’autres continuent à Uccle.

La Pièce 1997

La Pièce fut créée par le Docteur Hennaux et Michel Batugowski en 1997 après avoir germée dans leur imagination pendant quelques années (1993).

Ces derniers étaient dans les années 90, respectivement médecin-directeur et coordinateur du Foyer de l’Equipe. C’est la fréquence de plus en plus importante de candidature de patients qui présentaient une « psychose » ainsi qu’une consommation de produits illicites associées et le refus de l’INAMI de prendre en charge ces demandeurs dans le cadre de séjour au Foyer qui décida le Dr Hennaux et Michel Batugowski à s’intéresser à cette évolution.

Les patients étiquetés de « psychotique/toxicomane » et désireux d’être soutenus, avaient alors peu de choix dans l’offre de soins qui se présentait à eux. Ils se faisaient refuser des centres pour « toxicomanes » parce qu’ils présentaient des « troubles psychiatriques » et se faisaient refuser des centres « psy » parce que « toxicomanes ». Le choix était alors un choix par défaut, la rue, la prison, la défense sociale, les hospitalisations sous contrainte. Outre l’accueil de personnes présentant le « double diagnostic », la Pièce marquait un tournant important dans le positionnement des intervenants sur la question des drogues, puisqu’elle se proposait de travailler cette question avec une porte ouverte, sans fouille et sans contrôle urinaire. La Pièce est conventionnée pour 15 lits.

On pourrait ainsi résumer les points essentiels de la psychiatrie communautaire comme suit :

« - Des petites unités, disséminées dans la ville, qu’on ne pouvait distinguer des habitations

- Maintien des rôles spécifiques mais « aplatissement » du rapport d’autorité

- Existence d’une vie communautaire

- Tenue d’une réunion communautaire

- Entrée par un processus de candidature aboutissant à un accord mutuel

- Accueil basé sur les droits et pas sur les diagnostics

- Activités et groupes plutôt que relations duelles

- Interventions thérapeutiques fondées sur les événements de vie commune

- Existence de règles comprises et acceptées par tous, qui visent avant tout à assurer la possibilité d’une vie temporaire en commun ».

Il s’agit donc de « Maisons banalisées insérées dans un tissu de vie urbain le plus souvent. Cette banalisation évite les ghettos thérapeutiques, elle constitue une ouverture vers l’environnement immédiat (quartier-commerces-vie culturelle et sportive) et favorise les échanges avec le milieu de vie habituel et notamment la famille ».

Les séjours proposés sont toujours limités dans le temps et interrompus dans certains cas par des essais de reprise d’une vie sociale et professionnelle normale.

Le « séjour » dans les structures intermédiaires est caractérisé par la rencontre d’un sujet avec un milieu reprenant des éléments « aménagés » de facto de la réalité sociale. En effet, l’inscription dans une vie institutionnelle biaise, quoi qu’on puisse faire, la réalité sociale.

Les équipes sont pluridisciplinaires et ont une composition très variable selon les institutions et leur modèle de fonctionnement. On y retrouve médecins, travailleurs sociaux, psychologues, infirmières, éducateurs, ergothérapeutes,…A côté de leurs rôles spécifiques liés à leur formation de base, les membres des équipes fonctionnent tous à des degrés divers comme sociothérapeutes.

Le médecin est replacé comme responsable et garant du modèle thérapeutique de l’institution et du travail de l’équipe. Son rôle proprement médical est moins important que dans une structure hospitalière. Mais il reçoit clairement la direction de l’institution, ce qui peut provoquer des « tensions » dans des projets où le travail est présenté comme un travail d’équipe avec différentes orientations et discours possibles, mais où in fine c’est la responsabilité du médecin qui est engagée.

Après une période d’engouement pour ce genre d’initiatives et la création de nos structures intermédiaires, les institutions communautaires se marginalisent dans le paysage « psychiatrique ». L’avenir, les projets, les sous semblent se confiner à l’hôpital psychiatrique et à sa logique sur-médicalisée. Les hôpitaux créent leurs centre de jour, leur MSP et bientôt peut-être leurs communautés thérapeutiques.

En proposant clairement des « alternatives » aux traitements habituellement proposés, mais en fonctionnant dans et avec le système (utilisation des codes DSM, subsides, responsabilité médicale, organisation en institution certes ouverte mais par définition totalitaire), elles sont dans les faits devenues « complémentaires » et « intermédiaires ». En s’érigeant en institution médicale et psychiatrique, les communautés se sont inscrites dans certains paradoxes : la dénonciation de la psychiatrisation hospitalière mais parallèlement la promotion d’une autre forme de psychiatrisation où les patients ne sortent plus d’un circuit certes extra-hospitalier mais toujours institutionnel et un peu fermé sur lui-même.

Les effets de la contestation n’ont pas conduit à la fin de l’hôpital psychiatrique mais à sa transformation, à son aggiornamento en modèle bio-psycho-social moins autoritaire et plus consensuel. Cette transformation de l’univers asilaire bien que souhaitable, évidemment, et les changements symboliques majeurs de ces quarante dernières années ont alors « brouillé » les pistes et ont conduit d’un côté l’hôpital à se « surmédicaliser » et les « institutions intermédiaires » à se voir critiquées à leur tour sur leur « non-efficacité ». Elles étaient certes ouvertes et accueillantes, elles n’en demeuraient pas moins « peu efficaces » en fonction des nouveaux critères scientifiques et quantifiables qui avaient été établis par les instances politiques. Les communautés portent d’ailleurs une certaine responsabilité dans ces évolutions, en ayant essayé de vider les « asiles » mais en n’évitant pas de les remplir en mettant clairement une barrière symbolique (la candidature) à l’entrée et excluant néanmoins toujours celui qui ne respectait pas les règles de l’interaction.

L’avènement du DSM IV et l’explosion des molécules disponibles depuis plus de 50 ans ont renforcé la puissance symbolique et chimique du discours médical sur nos patients : Renforçant l’habillage scientifique des diagnostics et noyant la subjectivité de nos patients sous une quantité de plus en plus invraisemblable de substances psycho-actives… Nos structures ont pour certaines une responsabilité dans la non-intervention sur des traitements médicamenteux prescrits à nos patients et sur les discours diagnostiques figés et sans perspectives qui leur sont tenus. Il me semble important pour nos structures de rester « ouvertes » en tempérant la puissance symbolique du discours médical. La psychanalyse comme unique guide n’a pas non plus permis de désinstitutionnaliser nos résidents : parce qu’à ne rien vouloir du tout à des personnes qui sont submergés de médicaments…on peut toujours attendre Godot. Les CT doivent également prendre acte des évolutions sociales de ces dernières années qui éloignent encore un peu plus nos résidents de l’inscription sociale pour adapter leurs actions et leurs exigences à celles-ci.

Là où nous sommes, au contact des exclus du système nous voyons le dessous des cartes de l’inscription de la société toute entière dans un rapport capitaliste et dans le détricotage des filets de sécurité sociale. Inscription résistant particulièrement à la critique en l’englobant dans une logique de marché, de promotion de peurs, de culture médiatique de masses, de consommation et de standardisation des comportements et des produits.

Les CT inscrites dans ce cadre-là doivent absolument rester « ouvertes » et non dogmatiques. Elles doivent s’ouvrir d’avantage à la réalité sociale des publics précarisés et rester critiques voire intempestives sur la société et ses idées, sur les différents discours sur l’homme et la « maladie mentale »- puisque qu’on sait finalement pas bien de quoi il s’agit- pour rester un moindre mal, une « douce utopie » mais aussi un point d’appui concret à d’autres modèles de société.

Je vous remercie de votre attention.